Chronique

TRAME DE FOND: Marquer le temps, une inspiration à la fois

Brûlerie FARO
PAR:
Dominique Bourdeau

Dans mes oreilles | Artiste Hans Zimmer | Titre Time | Écoutez


Un bouquet d’effluves veloutés nous enlace de sa chaleur apaisante. À peine arrivés en terre d’accueil, nous consentons inconsciemment à inhaler cette bouffée de sérénité renouvelée, un calme à toute épreuve qui nous invite à consommer un léger temps d’arrêt. Celui-là qui, sans trop faire de vagues, nous rappelle que tout est possible, que tout peut arriver. Spectateurs immobiles, le mobilier et les ornements nés de matériaux bruts s’éveillent à l’unisson pour nous chuchoter mille et une histoires à l’oreille.  On se sent inspiré.  Il en est ainsi dans ces lieux mythiques dont les murs respirent la nostalgie et suggèrent le souvenir.  Nous sommes au 180 Wellington Nord, attablés en la demeure de la Brûlerie Faro, véritable institution sherbrookoise. Inspirez, expirez, puis laissez-vous emporter.

***

« Le comptoir d’un café est le parlement du peuple. »

– Honoré de Balzac

Il y a Léa. Et Antoine. Tous deux partagent un même alibi: celui d’avoir choisi ce café comme lieu de prédilection, témoin des événements passés, présents et à venir. Sans le savoir, un esprit de solidarité les lie. Parce qu’ils ont choisi d’être là, à cet endroit précis, avec vous et moi.

Léa

Les nerfs de Léa se crispent face aux multiples ouvrages disposés devant elle en barricades. La tour est haute et l’air se fait rare au cerveau, semble-t-elle convenir, sa main jouant nerveusement dans ses cheveux. Ère du numérique ou pas, Léa a besoin de toute la littérature possible pour être en mesure de mettre à terme sa dissertation finale. Finissante, demain sonnera le jour J. L’image de son appartement et de ses trois colocataires l’invitant à la procrastination lui rappelle que, malgré la pression, elle doit persévérer et se trouve au parfait endroit pour clore de belle façon ce chapitre. Avant d’entamer le dernier droit, Léa lève les yeux, parcourt lentement l’environnement qui l’entoure, celui-là même qui l’accompagna maintes fois à travers les hauts et les bas des trois dernières années de dur labeur, puis fige un instant. Le temps retient son souffle, plusieurs secondes s’écoulent. Elle se souvient. Léa se surprend à craindre les prochaines heures, comme si l’idée de tourner cette page de son existence définitivement l’effrayait au plus haut point. Le cœur battant, elle reprend ses esprits, puis se remet au travail avec une détermination nouvelle cette fois. Même si l’aube de demain marquera un nouveau départ, Léa n’oubliera pas.

Antoine

Bloc-notes maculé de bleu sang, stylo dégainé, yeux pochés et café fumant, Antoine donne les premiers coups de pinceau à l’oeuvre qu’il aura, trois ans plus tard, dessiné en totalité. Ce dernier ne se doute point que les marathoniennes journées passées à cette même table sauront porter fruit. Sur sa planche de travail, prend forme et se transforme à tout instant un projet d’entrepreneuriat novateur et révolutionnaire; Antoine le pense et le bâtit depuis plusieurs années déjà. Hélas, les obstacles à entrevoir, en plus des voix portées de pessimisme qui s’élevèrent, suffirent pour mettre à silence à jamais cette flamme qui le consume depuis longtemps. Pourtant, hier, tout a changé. Antoine a enterré son complice de vie, sa fraternelle moitié. Quelques jours plus tôt, un stupide face à face en voiture l’a emporté. Subitement, à 43 ans. Antoine, au sein de la famille, fut celui que l’on nommait « le rêveur »; tous avaient l’habitude de l’agacer sur le manque d’aboutissement de ses multiples projets. Tous, sauf Marc, son frère, celui qui, malgré les échecs retentissants, parvenait toujours à trouver le mot juste pour l’inciter à persévérer. Celui-là qui avait cru en lui. Toujours. Imprégné d’un cocktail Molotov de frustration et de détermination, Antoine laisse ces lointains échos prendre aujourd’hui tout leur sens, regarde vers l’au-delà et songe en guise d’adieu: « Marc, ils n’ont qu’à bien se tenir. Regarde-moi aller. ». L’instant suivant, une alerte numérique retentit. Dans quinze minutes, Antoine a rendez-vous avec une lointaine connaissance, un homme d’affaires influent qui a bien voulu prendre quelques instants pour lui donner l’heure juste sur son nouveau projet. Celui-ci ne se sera pas déplacé pour rien cette fois; il se souviendra. Tout comme Antoine. Surtout.

***

Depuis le 17e siècle, les cafés ont été le théâtre d’une vie sociale partout sur la planète. Dès leur apparition, ces établissements sont devenus des centres de la vie intellectuelle, artistique et politique, permettant de promouvoir la sociabilité, tout en y diffusant les nouvelles et actualités du moment. Gentilhomme ou non, riche ou non, tout le monde avait droit à la parole.

Quels que soient l’époque et le contexte, l’on s’y rendait aussi pour que la magie s’opère; pour venir y réécrire son histoire, pour la poursuivre, un chapitre à la fois, comme tremplin d’inspiration et de création, seul ou bien accompagné. Catalyseur du siècle des Lumières, période très importante dans la formation du monde qui a élaboré une nouvelle philosophie mettant l’accent sur la rationalité et la logique dans le but de battre en brèche la tradition, la superstition et la tyrannie qui régnaient alors, les cafés ont changé le monde. Ces derniers ont fourni l’environnement nécessaire à la diffusion des pensées des philosophes des Lumières, dont Montesquieu, Voltaire ou Rousseau. Enfin, il est même dit que Thomas Jefferson, troisième président des États-Unis, fréquenta le café Procope, à Paris, pour y concevoir son projet de constitution des États-Unis en 1758.

La prochaine fois que vous prenez siège dans un café, prenez le temps d’observer ce qui s’y trame; laissez-vous inspirer par les histoires qui s’y écrivent, là, sous vos yeux. Peut-être comprendrez-vous alors ce que les murs vous chuchotent à l’oreille. Et vous aussi, vous vous rappellerez. À jamais.