Visages du Centro

Stéphanie Royer, la maman des geeks du Centro

PAR:
Marie-Cristine Pachès

Ils sont impliqués et ne cherchent pas à être le centre de l’attention. Ils souhaitent créer du beau et du bon pour que nous puissions profiter d’un milieu de vie dynamique et vivant. Ce sont ces visages que nous croisons tous les jours au cœur du centre-ville. Chaque mois, grâce à notre chroniqueuse, vous aurez la chance de découvrir les visages du Centro. Ces personnes qui croient au développement du centre-ville et qui y contribuent à grands coups de passion et d’amour!

Quand j’ai redémarré le projet des Visages du Centro, j’ai su dès le départ que j’avais envie de vous présenter Stéphanie Royer. J’ai découvert ce petit bout de femme sympathique et dynamique à l’une des tables de jeux du Montagu pub ludique alors que j’y passais la plupart de mon temps. Je savais qu’elle était la propriétaire de l’Oeil de Chat, le chaleureux repaire des amateurs de mangas et de bubble teas situé au cœur du Centro.

Par la suite, j’ai appris qu’elle s’apprêtait à acquérir la magnifique bâtisse qui avait accueilli le pub irlandais O’Reilly pour en faire un restaurant à thématique médiévale. J’ai aussi constaté qu’elle et son conjoint, Julien Dépatie, avaient réussi à traverser l’épreuve du temps et à naviguer dans les défis entrepreneuriaux avec leurs deux entreprises. En plus, ils avaient même trouvé le temps pour faire deux bébés, aujourd’hui âgés de 2 et 4 ans.

Bref, j’étais pas mal impressionnée! J’ai donc donné rendez-vous à Stéphanie, par un beau vendredi de tempête hivernale qui avait fait fermer nos écoles, pour qu’elle me parle de son parcours.

L’antre des mangas à Sherbrooke

J’entre dans la boutique animée avec mes bottes enneigée et j’aperçois tout de suite la proprio au cœur de son petit monde qui discute avec Frédéric, notre photographe. Elle lève les yeux et me fait un grand sourire qui monte jusque dans ses yeux. Elle est comme ça Stéphanie: elle sourit avec son cœur et avec ses yeux. C’est également une fille accueillante et chaleureuse, un peu comme une maman!

La boutique a changé depuis ma dernière visite. Toutes les tables de la section resto sont remplies. Un couple d’habitués dispute une partie de jeux de société. Les employés s’affairent derrière le comptoir du coin cuisine ouvert et il flotte une odeur agréable qui m’ouvre l’appétit.

On suit Stef qui nous précède jusqu’à la mezzanine où elle a installé son coin lecture. Là, deux canapés rouges sont entourés de bibliothèques remplies de collections de mangas aux couleurs vives. «J’ai des trésors ici! Certains de ces livres ne sont plus édités, on ne les trouve nulle part ou presque!» me souffle-t-elle non sans fierté. Elle m’apprend que plus de 80% de sa collection est en français et j’en suis plutôt étonnée.

Photo : Frédéric Gosselin instagram.com/fuseau.solaire

J’avoue que je ne connais pas grand-chose à l’univers des mangas… Bien sûr, je sais qu’on les lit «à l’envers», en commençant par la fin et en feuilletant de gauche à droite. Je sais que c’est japonais et… c’est à peu près ça!

«Souvent, les parents viennent faire un tour au début, quand leur enfant leur demande de les reconduire ici. Ils ne comprennent pas que leur jeune trip autant sur quelque chose!» m’explique-t-elle en riant. «Mais les Otaku, ceux qui se passionnent pour les animes, les mangas et leur univers sont une des quatre branches initiales du monde des geeks avec les Gamers qui sont plus dans les jeux vidéo, les Nerds qui sont toujours sur les ordis, la programmation et le codage et les GNeux qui font des grandeurs natures.»

Qui dit geeks dit évidemment passion et intensité! Je lui fais quand même remarquer qu’il y a pire pour un parent que de voir son enfant se passionner pour des livres! «Effectivement! Ils sont rassurés quand ils viennent ici et qu’ils nous parlent», me confirme-t-elle.

Des princesses de Disney à Sakura

Je suis curieuse de découvrir ce qui a poussé la jeune femme à créer un tel endroit. Je lui demande de me raconter d’où vient sa passion. «Je viens de la campagne, de Lac-Drolet. J’ai été élevée avec les cassettes de Disney! C’était mon univers… Le monde de Disney et celui des mangas se sont beaucoup influencés. Les grands yeux qui laissent percevoir les émotions sont un héritage direct.»

C’est ainsi que, comme beaucoup d’enfants nés dans les années 80, Stéphanie a découvert les animés asiatiques par les petits bonhommes du samedi matin. Plus tard, elle s’initie aux mangas grâce à Sakura, chasseuse de cartes, un dessin animé tiré des livres créés par le prolifique collectif d’autrices-dessinatrices CLAMP.

«J’ai toujours eu ce côté geek. Je ne faisais pas partie des «populaires» à l’école, même si j’avais des amis. J’avais donc aussi ce désir de créer un lieu pour les gens comme moi. Une sorte de safe space pour ceux qui trip sur des affaires différentes; pour briser l’isolement des jeunes qui ont parfois l’impression qu’ils sont seuls. Ici, ils peuvent être eux-mêmes, échanger et se sentir bien. C’est super important pour moi», me confie-t-elle avec émotion.

Photo : Frédéric Gosselin instagram.com/fuseau.solaire

La bosse des affaires en héritage

«Je viens d’une famille d’entrepreneurs», m’explique Stéphanie. «Les bottes Royer, c’était la compagnie fondée par mon arrière-grand-père, ensuite mon grand-père l’a reprise, puis mon père. La bosse des affaires, l’ambition, le goût de relever les défis, ça me vient de lui!»

Je l’écoute me parler de ce père qui l’a soutenue depuis le début et dont elle a également hérité d’un grand amour des gens et d’excellentes aptitudes pour prendre soin de ses ressources humaines. «Ma mère était une femme sociable, très souriante et facile d’approche qui avait de l’instinct pour ce qui allait marcher; ce qui allait plaire aux gens… Moi j’étais une fan de mangas depuis plusieurs années déjà. Je rêvais d’un endroit qui se spécialiserait dans le genre; un lieu où on pourrait lire sur place et retrouver des éléments de la culture manga. Je sentais bien qu’il y avait un public pour ça», m’explique la visionnaire. Quand elle franchit la porte du O-Taku Manga Lounge de Montréal, elle sait qu’elle vient de trouver l’exemple parfait de ce qu’elle souhaite créer à Sherbrooke.

Photo : Frédéric Gosselin instagram.com/fuseau.solaire

De retour ici, elle poursuit ses explorations. Dans l’espoir de dénicher un fournisseur local de thés pour ses futurs bubble teas, elle décide de rencontrer la propriétaire de la boutique Mystea. La rencontre entre les deux entrepreneures aboutit finalement à un partenariat plus conséquent puisqu’une grande partie du local situé au 22, Wellington Nord est alors inoccupée. Stéphanie y ouvre finalement son commerce et prend le contrôle du petit coin resto à l’arrière-boutique en 2013.

«Le chat de mon logo vient d’un de mes mangas préférés. Ma mère m’a suggéré d’enlever ses moustaches pour qu’il ait un air plus féminin! Je suis contente de l’avoir fait, c’est un peu son héritage…» me souffle-t-elle.  Puis elle glisse doucement: «Elle est décédée presque en même temps que la boutique a ouvert. J’avoue que me lancer dans le travail a été une façon d’anesthésier la douleur…» Un ange passe.

Photo : Frédéric Gosselin instagram.com/fuseau.solaire

Un sanglier, une équipe et beaucoup d’amour

À force de travail, l’entreprise de Stéphanie croît et elle devient vite capable d’occuper seule son local du centre-ville. En 2017, elle est séduite par l’idée d’ouvrir un restaurant de type médiéval pour combler ceux parmi sa clientèle qui aiment se déguiser et, pourquoi pas, créer un lieu parfait pour festoyer et se rassembler.

«Il y a eu plusieurs propositions d’acheteurs, mais la plupart voulait faire des transformations à la bâtisse. Pour nous, l’ancien pub irlandais de la rue King Ouest était parfait tel quel!» Cette volonté de donner un nouveau souffle aux lieux a plu au propriétaire qui leur a proposé de les financer. «Je n’en revenais pas que quelqu’un que je ne connaissais pas offre de nous aider à démarrer. C’était inespéré, vu que personne ne prêtait aux restaurateurs et c’est ce qui nous a permis de nous lancer!»

C’est ainsi que Le Sanglier Doré est né. Pour réussir dans cette aventure, la gestionnaire savait qu’elle devait bien s’entourer. «Le premier que je suis allée chercher est Yan Lepage. Il animait déjà  les soirées Loup-Garou ici alors je savais qu’il serait parfait pour le rôle de responsable du service et de l’animation», me confirme-t-elle. Pour avoir vu son équipe en action, je sais à quel point elle a réussi son pari avec sa 2e entreprise où il règne toujours une ambiance incroyable!

Je me doute toutefois que, comme pour beaucoup, les dernières années ont dû être éprouvantes. «Ici, je n’ai pas à me plaindre. Je n’aurais jamais implanté la livraison si ça n’avait pas été de la pandémie et la réponse a largement dépassé nos attentes. Au Sanglier Doré par contre, c’est autre chose…» m’explique-t-elle. «Les gens viennent pour l’expérience, le décor, l’animation et puis, les viandes de gibier sont plus dispendieuses. Tous ne sont pas prêts à dépenser pour avoir seulement le repas. Heureusement, on a des clients fidèles et là, ça reprend!» dit-elle avec encouragement.  Le couple d’entrepreneurs n’a toutefois pas chômé durant les périodes plus creuses du resto.

Photo : Frédéric Gosselin instagram.com/fuseau.solaire

Du houblon, des artisans et un nouveau bébé!

«Julien s’est découvert une passion pour le brassage! On a donc décidé de commencer à brasser la bière qu’on servira au Sanglier Doré. Notre propriétaire nous a offert le local voisin à un bon prix, alors on a ouvert Les Artisans du Roy juste à côté, au 14, Wellington Nord», m’apprend-elle.

Devant mon air ébahi, elle m’explique «C’est pratique, je n’amène plus de travail à la maison puisque j’y ai installé mon bureau. Mon chum brasse dans le fond. Comme on n’avait pas besoin de tout le local, on a offert l’avant à des amis artistes pour qu’ils puissent y vendre leurs créations. On s’entraide et on se tient compagnie, j’aime ça! Il y a même un passage secret entre les deux commerces! Et puis, ça change le décor pour les enfants.» Les enfants??? «Oui, comme on travaille tout le temps, on les amène avec nous. Jack et Leya ne vont pas à la garderie, alors ils nous suivent partout… même en convention!»

Je vous avais bien dit qu’elle était impressionnante!

L’Oeil de Chat – Café Manga
22, rue Wellington Nord

Les Artisans du Roy – Boutique d’art et d’artisanat
14, rue Wellington Nord

Sanglier Doré – Restaurant médiéval
1410, rue King Ouest