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Le Centro, j’y ai passé ma vie

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Centre-ville Sherbrooke

Dans le cadre de la campagne de sociofinancement Mon Centro, Une communauté vivante lancée par le Tremplin 16-30 et la série documentaire Mon Centro, le Centre-ville de Sherbrooke propose une série de chroniques « coup de cœur » rédigées par des personnes qui aiment et vivent le Centro depuis de nombreuses années. Cette semaine, Alain de Lafontaine nous fait voyager grâce à ses multiples projets et expériences qui ont façonné le centre-ville au fil des décennies.

Donc, il était une fois à une époque lointaine, c’est-à-dire avant l’ouverture du Carrefour de l’Estrie, encore étudiant au Cégep, je devins vendeur de chaussures pour femmes chez Le Bottier, boutique prisée située à la place de l’actuel Méchant Steak. Seul endroit où l’on embauchait de jeunes vendeurs aux cheveux longs. Les proprios étaient branchés sur le Swinging London du moment et l’endroit attirait la jeunesse sherbrookoise.

À ce moment le centre-ville représentait encore le cœur de l’activité économique de Sherbrooke : de nombreuses banques, une quincaillerie, les grandes chaînes Woolworth et Zellers, un Steinberg, célèbre épicerie sise à la place de l’esplanade Frontenac, ainsi que de nombreux bureaux de professionnels, boutiques, merceries et autres commerces. Le seul survivant de cette riche période demeure le « Sherbrooke news »; vous trouverez des références dans mon livre Un été hippie.

Retour à la terre oblige, témoin d’une époque, quelques années passées à la campagne près de Hatley à œuvrer comme artisan et à geler l’hiver durant avec ma compagne nous ramènent au chaud à Sherbrooke. Cette fois rue Alexandre, où nous y avons ouvert une boutique où l’on vendait nos produits (cuir, tissus, manteaux, sandales…). Nous étions en 1976, période hippie et communautaire; on forma alors une association. Poursuivant notre rêve de changer le monde, nous avons collaboré durant six ans entre marchands afin de revitaliser cette artère commerciale en péril : première boulangerie artisanale, le Café aux Livres (ancêtre de GGC), galerie d’art, restaurant végétarien Le Bateleur, friperies et plusieurs boutiques d’artisans comme la nôtre.

Coïncidence ou non, après le référendum de 1980, l’engouement pour les produits artisanaux diminua en même temps que nos revenus.

Réorientation et revirement de ma part, effectué cette fois avec 2 amis : André Bernier (Peewee) et Marc Thibault. On décide d’ouvrir en lieu et place de ma boutique un bar pour les vieux de 30 ans (eh oui), tannés que nous étions des jeunes des Marches du Palais. Nous étions en 1982. Le Loubard fut un succès immédiat.

Marc Thibault, Alain de Lafontaine et André Bernier, fondateurs du Loubard. Photo : Alain de Lafontaine.
Marc Thibault, Alain de Lafontaine et André Bernier, fondateurs du bar Loubards. Photo : Alain de Lafontaine.

À travers les années on y joignit une discothèque, le Rosie Prock, et par la suite avec Marc Bouchard on ouvrit un restau à l’étage. Cette aventure trépidante se poursuivit jusqu’en 1995. Notre ami Thibault alors parti travailler pour la télé en Allemagne et moi ayant décidé de prendre une année sabbatique pour m’aérer, je partis pour Montréal, l’Espagne et la France et en profitai pour rédiger un premier roman, Bars et Âmes!

À mon retour, tous les trois, on se mit d’accord pour la mise en vente de l’entreprise. La transaction conclue, Le Loubard nous survécut durant un an jusqu’à ce qu’un incendie en fit une perte quasi totale. On soupçonna un suicide de sa part.

Le Loubard et le Rosie Prock, près du coin Alexandre et Aberdeen. Photo : Alain de Lafontaine.

Quelques années plus tard, Marc, de retour d’Europe et sans-emploi, le rouvrit (Les Loubards) sur la rue Frontenac avec les anciens proprios des Graffitis (célèbre discothèque sur Wellington Sud), Christian Fournier et Mario Coulombe.

Sans-emploi aussi, j’abandonnai Sherbrooke à nouveau et me lançai dans l’aventure du Café de Lafontaine à North Hatley, un endroit où je produisis plus de 250 spectacles de 1996 à 2003. Aventure audacieuse et formatrice qui représenta, à mon insu, une belle préparation pour mon travail à venir! Coup de chance ou détour du destin, en l’année 2003, on me recruta pour assumer la direction générale et artistique du Théâtre Granada.

J’eus l’impression que tout ce que j’avais réalisé auparavant m’avait préparé à cette tâche.

Le Théâtre Granada. Photo : ID Conception

Me voici donc, 30 ans plus tard, de retour rue Wellington avec pour mission de poursuivre le travail amorcé au théâtre. Premier objectif, créer une véritable programmation et par la suite, durant les années suivantes, restaurer le lieu dans tous ses aspects : sono, éclairage, gicleurs, bar, ameublements, rideaux, toilettes, loges, billetterie, façade… Je me suis attelé à cette tâche avec passion, m’entourant d’une équipe extraordinaire qui m’épaula dans tous mes projets. Notre mission, en plus de redonner ses lettres de noblesse à cet authentique théâtre d’atmosphère, se jumelait à celle d’instaurer au centre de Sherbrooke un pôle d’attraction culturel. Mission amorcée depuis quelques années par la Maison du Cinéma, fondée par le valeureux Jacques Foisy, une salle exceptionnelle au Québec.

Ainsi, au cours des années, s’établirent autour du théâtre entreprises telles Auguste, Glorius, Belle et Rebelle, Le Chevreuil, le Tourne-Livre, Oliv, le Boquébière et plusieurs autres. À cela s’ajouta une liste d’artistes qui naguère boudaient notre salle et maintenant la prisaient de plus en plus. Le centre-ville grouillait à nouveau, donc mission accomplie de ce côté.

Avec la gestion du théâtre s’ajoutait celle des Concerts de la Place de la Cité qui rapidement, avec l’ajout de la scène du Carré Stratchona, se transformèrent en Concerts de la Cité. Un rayonnement musical qui avec ses 80 spectacles extérieurs durant l’été inonda le centre-ville de musiques en tous genres cinq jours par semaine.

Ce n’était pas tout, avec le résidu d’une subvention attribuée pour Le Grand Rire Bleu, Serge Paquin (conseiller municipal) me demanda de créer un évènement pour aider à revitaliser Wellington Sud. Je repris donc une idée qui avait connu du succès dans les années 90 pour créer le Sherblues & Folk. Encore la même équipe qui remet l’épaule à la roue (salut Stéphanie, Michel, Jo, Annie, Pierre, Antoine, Audrey et tous ceux qui ont suivi) pour contribuer à faire de ce festival un évènement qui ne cesse de croître d’année en année!

Le Sherblues & Folk. Photo : Les Anti Stress de Monsieur Ménard.

Puis s’ajouta avec les années la programmation dans des petits lieux tels le Boquébière et la Petite Boite Noire. On nous demanda d’établir une programmation complémentaire à la Place Nikitotek, place dont nous étions aussi responsables de l’installation et de la supervision.

Tout ceci représente pour moi plus de 30 années dans ce Centro de la ville que les branchés surnomment maintenant Sherby. Jamais je n’aurais cru étant enfant, lorsque j’allais visiter le magasin de chaussures qu’avait fondé mon père avec Patrice Roy dans l’édifice Continental au coin de King-Wellington, qu’à mon tour je me retrouverais là!

Une bien belle aventure qui se poursuit encore.

Alain de Lafontaine