Un vendredi de fin du monde – Nos cœurs remplis d’uréthane
Le Centro a eu la chance d’assister à une représentation de Nos cœurs remplis d’uréthane, une création du Théâtre du Double signe. Voici ce qu’en a pensé Caroline Fontaine.
Vendredi dernier, nous avons bravé la tempête, où plutôt ce qu’elle venait de déposer sur la chaussée, en nous dirigeant au centre-ville. Premier arrêt, du haut de l’autobus de ville qui nous a escortés, à l’Empreinte – cuisine soignée. Un succulent repas avec l’accord généreux de vins, étonnant et réussi, nous est servi. Il est tôt, peu de gens ont osé sortir. Nous voilà installés au bar pour jaser bouffe, bière, vin, gin, café et même riz gaspésien avec le staff. L’ambiance est décontractée et, entre la musique de Manu Militari et Dubmatique, nous arrivons presque à oublier l’heure. Il faut partir.
Entrez par la grand’ porte
Nous voilà, en retard, mais au rendez-vous. Le public est concentré à l’avant, encore seulement des braves. Nous n’avons pas manqué grand-chose ou plutôt oui, l’entrée qui se faisait par la scène, transformée pour l’occasion en galerie d’art où expose la personne de Léon. Il est là justement, à faire un discours de présentation. On assiste à son vernissage. Le jeu juste, décalé, mal à l’aise de Jean-Philippe Perras met tout de suite la table. On est ailleurs que ce à quoi le Double signe, ou encore André Gélineau, nous a habitués. Le ton est donné. Ce sera drôle. L’«acide» indiqué après le «comédie» sur l’affiche ne saura pas tarder. Et on rira encore.
Une grande force de cette présentation, à mon avis, en plus de la magnifique scénographie, est le jeu des comédiennes et comédiens. Les personnages, quoique clairement définis : le chevalier, la reine, le gobelin, sont truculents de mauvais plis. Ils peuvent sembler exagérés, mais ne sont que le reflet d’un miroir grossissant les traits d’une société actuelle. Leur jeu est juste, rythmé, et même touchant. Je n’aurais jamais crue être émue par un gobelin, mea culpa.
Comédie acide qui frôle l’essai
À certains moments de cette pièce, plutôt verbeuse, on est aussi plongé dans d’intenses réflexions. Le texte est touffu et mériterait d’être lu pour laisser mariner les pistes d’idées développées sur les relations humaines, l’importance de nos égos et les mécanismes de défense qu’on met en place pour les sauver, les faire «shiner» à la manière des trophées de chasse qu’on empaille. On en vient à se questionner sur les rôles que l’on joue, qu’on se crée ou qu’on accepte de jouer.
Le rapport à l’art moderne est aussi ausculté, pouvant aller jusqu’à transposer cette réflexion à l’expérience qu’on est en train de vivre en ce moment même. Serais-je cynique à la sortie de cette pièce? Serait-ce me protéger des trous dans lesquels elle vient de viser juste? J’en aurai à méditer pour le trajet de retour et la marche enneigée qui s’en suivra.
Après le rire, que reste-il?
C’est une des questions avec lesquelles on ressort de cette pièce, mise brillamment en scène par Jean-Simon Traversy. Pas parce qu’on a seulement ri sans savoir pourquoi, mais parce qu’on se questionne sur nos propres réactions et jugement face à l’autre, face à l’art, sur nos propres mécanismes de cynisme nous permettant d’éviter les nids de poule que fondent les trous de nos êtres. Certes, à l’instar du sculpteur de la pièce, Léon, il est possible de remplir les trous des organes d’uréthane pour en présenter des sculptures, mais est-ce le cas dans le vrai monde?
INFORMATIONS
Nos cœurs remplis d’uréthane est présentée du mercredi au samedi jusqu’au 22 février prochain au Théâtre Léonard-St-Laurent.
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