La rue Wellington piétonne ? C’est un pensez-y-bien !
Depuis quelques années, les rues piétonnes sont devenues une idée à la mode. Avec la prolifération de ce genre d’aménagement un peu partout au Canada et ailleurs, chacun d’entre nous rêvons maintenant d’avoir notre propre rue piétonne. Pour les plus idéalistes, l’idée va simplement de soi. Au fond, si ça marche ailleurs, pourquoi pas à Sherbrooke ? Pourquoi pas la rue Wellington nord ?
Un flop
Pourtant, l’histoire nous montre que le succès d’une telle entreprise est loin d’être assuré. En 1968, alors que le centre-ville de Fresno faisait face à un déclin inéluctable des suites de l’attrition graduelle de son espace urbain par l’automobile, les autorités ont décidé d’approuver un projet pour le moins audacieux : piétonniser une partie de son centre-ville. On voulait séparer les voitures et les piétons, et ce, « pour leur bénéfice mutuel ». On allait inventer l’Urban Mall ; la dernière solution en date pour revitaliser les centres-villes. Il ne s’agissait ni plus ni moins que de s’inspirer du succès grandissant des centres commerciaux à l’époque et d’appliquer la recette à l’échelle d’une rue, d’un quartier.
Selon les dessins originaux, on décrivait le futur espace piéton comme une zone paisible, sécuritaire, au cœur de tous les services commerciaux, financiers et institutionnels. En somme, c’était déjà plus complet que ce que l’on retrouve généralement dans un centre commercial traditionnel de nos jours. On y trouverait un couvert végétal attrayant, du mobilier urbain propice aux rencontres fortuites, des jeux d’eau pour amuser les enfants, des zones dédiées au divertissement et à la présentation d’événements, etc.
Après des investissements colossaux, tout était prêt et on attendait que les citoyens de la ville s’approprient leur nouveau centre-ville. Seulement, les années ont passé et ce secteur piéton, qui à l’origine, faisait l’envie de bien des municipalités et qui devait représenter la ville du futur, est désormais considéré par tous comme un échec cuisant. Jamais l’Urbain Mall n’a rempli ses promesses. D’autres villes ont imité Fresno par la suite, 89% d’entre elles ont connu un échec.
Convergence
Dans son mémoire présenté en 2011, Manon Pawlas identifie plusieurs facteurs et prérequis pour garantir le succès d’une rue piétonne. D’une part, « il faut que le secteur visé par la piétonnisation soit financièrement stable avant la mise en place du projet, car dans le cas contraire la piétonnisation ne suffira pas à faire revivre le secteur ». En d’autres termes, il ne faut pas prendre le problème à l’envers. On ne piétonnise pas une rue pour attirer plus de gens, on le fait parce que le quartier fonctionne déjà bien. Comme le soulignent bien des commerçants du centro, la santé économique du centre-ville est encore probablement trop fragile de ce point de vue.
Selon Mme Pawlas, le « deuxième critère est l’accessibilité par des moyens variés et efficaces » à la rue piétonne. Si le transport en commun ne cause pas de soucis à Sherbrooke en ce qui a trait à la connectivité vers le centre-ville, il n’en demeure pas moins que la Well est enclavée entre une falaise et une rivière. Il y a peu de rues transversales permettant d’atteindre rapidement la rue Wellington via plusieurs points d’entrée, au contraire de certains axes piétons comme la rue Church à Burlington par exemple. Pour se rendre sur la rue Wellington, les deux seules portes d’entrée sont ses extrémités. En ce qui concerne le stationnement, il est « préférable de construire plusieurs petits stationnements qu’un seul de grosse capacité », afin de justement améliorer la connectivité. Les gens n’aiment pas marcher sur de longues distances, rappelle-t-elle.
Et puisqu’en urbanisme, c’est devenu l’Alma mater d’en parler, Mme Pawlas ajoute que la rue doit présenter une forte mixité entre les usages. Le résidentiel doit côtoyer le commercial, les services et le divertissement. « La juxtaposition d’unités résidentielles conséquentes avec des commerces crée un espace actif toute la journée, et ainsi du dynamisme nécessaire pour le succès de l’implantation d’une rue piétonne ». La portion résidentielle doit compter au moins 33 unités d’habitation à l’hectare, alors que la portion commerciale « doit être d’au moins 20 commerces par tranche de 100 mètres ». Évidemment, ces commerces ne doivent pas tous faire dans la restauration.
Mais le plus important demeure sa conclusion. « La rue doit aussi être très achalandée en piétons préalablement à la mise en place d’une piétonnisation ». On parle d’une fréquentation de 3000 personnes par heure. « L’activité de la rue est un élément essentiel qui doit être présent avant la mise en place du projet. Lorsqu’une rue piétonne est créée dans une rue déjà très achalandée, c’est en quelque sorte les piétons qui poussent les voitures hors de la rue ».
Voilà qui est dit. À titre d’utilisateur du transport en commun et de fervent défenseur du transport actif, j’en conclue que le fruit est loin d’être mûre pour la Wellington. N’en déplaise aux idéalistes ; peut-être vaudrait-il mieux tempérer vos ardeurs ? Pourquoi pas commencer par piétonniser la rue les week-ends seulement, question de tâter le terrain ?