Jouhaïnna Lebel, de chocolatière à femme-orchestre!
Ils sont impliqués et ne cherchent pas à être le centre de l’attention. Ils souhaitent créer du beau et du bon pour que nous puissions profiter d’un milieu de vie dynamique et vivant. Ce sont ces visages que nous croisons tous les jours au cœur du centre-ville. Chaque mois, grâce à notre chroniqueuse, vous aurez la chance de découvrir les visages du Centro. Ces personnes qui croient au développement du centre-ville et qui y contribuent à grands coups de passion et d’amour!
«Es-tu certaine que je sois la bonne personne à interviewer?» Lorsque j’ai écrit à Jouhaïnna Lebel pour lui demander si elle acceptait d’être le prochain visage, sa réaction m’a fait sourire! Entrepreneure au Centro pendant huit ans, coordonnatrice au Granada depuis six années déjà… Étais-je vraiment sûre que celle que l’on aperçoit à pratiquement tous les événements artistiques du centre-ville, que l’on a pu voir aux Dragons, puis à Tout le monde en parle et qui est la vedette de l’une des portes d’ascenseurs du CHUS soit un visage du Centro? Bin kin!!! Je suis donc allée la rejoindre dans ce lieu mythique qu’est le théâtre Granada pour qu’elle me parle un peu d’elle…
De Macao à Sherbrooke
Tant qu’à commencer par le commencement, je lui demande carrément si elle est une «vraie Sherbrookoise». Après avoir ri de ma question, elle me raconte son parcours. «J’ai grandi à Stanstead et je suis arrivée à Sherbrooke avec ma famille en 5e année. J’ai ensuite commencé mon secondaire ici, Mitchell et le Salésien, puis mon père s’est trouvé un poste d’enseignant à Victoriaville. Je suis revenue pour poursuivre mes études en 2001 et je ne suis jamais repartie. Donc, oui, je pense que je suis une vraie Sherbrookoise! » Plusieurs le savent, mais Jouhaïnna n’est toutefois pas née en Estrie. Originaire de Macao, une petite ville qu’elle me présente comme le «Las Vegas chinois», elle a été adoptée par ses parents alors qu’elle n’avait que trois mois. Puis, son petit frère Alexandre, venant lui aussi de la même région, est venu compléter la fratrie.
La naissance d’une grande chocolaterie
C’est quand elle était enceinte de son fils Maël, alors qu’elle étudiait en psychologie à l’Université de Sherbrooke, que Jouhaïnna et son conjoint à l’époque, François Paradis, ont eu envie de se lancer en affaires. «On était deux passionnés de bouffe! Je sentais déjà que j’avais la fibre entrepreneuriale. En analysant le marché sherbrookois, on s’est aperçu qu’aucune chocolaterie ne s’était encore aventurée dans les saveurs inusitées. On s’est donc lancés!» Ainsi est née la boutique Choco-Là, en juin 2005, dans un petit local de 850 pieds carrés sur la rue Frontenac.
Jamais peur des défis!
«Pour nous, le choix du Centro s’est imposé; on croyait au Centro! J’avais travaillé au Café du Palais, François à l’Antiquarius. On connaissait la place et on avait le désir de s’y installer!» me raconte celle qui ne semble pas avoir hésité à se jeter dans l’aventure avec un bébé encore aux couches! «J’aimais beaucoup le côté créatif de ma job, la liberté qu’elle me procurait et le sentiment d’accomplissement que je ressentais quand les succès arrivaient.» On se rappellera d’ailleurs de la saga des Ouipettes Deluxes, devenues des Poufettes, après que le géant Dare ait envoyé une mise en demeure aux entrepreneurs en 2013. C’est d’ailleurs cette première expérience qui a permis à Jouhaïnna de réaliser qu’elle disposait d’excellentes aptitudes en relations publiques. Une force qu’elle a pu mettre à profit lorsque l’entreprise s’est présentée aux Dragons l’année suivante.
La chocolaterie-pâtisserie a connu plusieurs changements au cours des années suivant sa création. D’abord un énorme agrandissement après d’importants investissements en machinerie; alors que les proprios ont déménagé au cœur de la rue Wellington Nord en 2008, à l’endroit actuel du O Chevreuil. Puis un exil sur la rue King Ouest cinq ans plus tard. La boutique est d’ailleurs toujours à cet endroit pour nous offrir ses délices! Jouhaïnna est demeurée copropriétaire jusqu’en 2020. Elle a néanmoins choisi de revenir au Centro en 2015 afin d’occuper un poste de coordonnatrice au Granada. Ce nouveau poste l’a plongée tête première dans un univers de défis, de rencontres mémorables et, évidemment, de musique!
Un nouveau monde, de belles rencontres…
Au cours des ces belles années, elle a ainsi pu rencontrer un foule de personnes inspirantes et assister à des spectacles qui l’ont marquée à jamais. Je la fais se remémorer certains de ces moments magiques… Elle mentionne ses rencontres avec Lou Doillon et Charlotte Cardin, me raconte l’effervescence du tout dernier spectacle de la tournée de Pink Martini qui, on s’en doute, fut suivi d’une soirée tout aussi mémorable! Elle évoque avec émotion la fois où Gaëtan Roussel, le chanteur de Louise Attaque, a fait face avec ses musiciens à un auditoire d’à peine 200 personnes; eux qui ont l’habitude de remplir des stades de France! Elle me parle de la gentillesse, de la générosité et de l’humilité de celui qui a livré ce soir-là une performance magistrale. Je l’écoute me narrer ainsi de ces beaux souvenirs et je comprends qu’elle a trouvé, au Granada, un univers qui la rendait très heureuse.
Faire briller la lumière dans la noirceur
Toutefois, alors que nous sommes assises dans les gradins du théâtre, mon regard est attiré par le nombre de bancs marqués d’un «X» qui nous entourent. Cette réalité covidienne est malheureusement bien présente dans la salle de spectacle qui a été fermée beaucoup trop longtemps. On sait tous que notre Centro n’a pas non plus pu vibrer au rythme de Sherblues et des Concerts de la Cité l’été dernier. «Je suis revenue au travail la semaine passée, ça fait presque un an que je suis au chômage… Tu m’as appelée au bon moment!», lance-t-elle avec bonne humeur!
Les techniciens sont eux aussi revenus et s’affairent sur la scène pendant que je la questionne sur les nombreux impacts de la crise. «Les arts et la culture n’ont pas juste été touchés, ils ont été massacrés, souffle-t-elle. Heureusement, c’est une belle et grande famille! Des liens ont été noués, des initiatives ont été créées. Les artistes sont plein de ressources et tout le monde essaie de garder espoir. C’est vraiment beau à voir, malgré tout.»
Notre rencontre a lieu deux jours avant la webdiffusion du spectacle collectif «J’t’aime en Estrie». On sent donc une petite fébrilité due au fait que les murs du Granada vibreront enfin au son de la musique et que les artistes envahiront la place. «Il y a tellement de règles, c’est toute une gymnastique à coordonner pour bien les respecter et éviter qu’il y ait trop de gens à la fois. Mais ça vaut la peine, les gens ont besoin d’être divertis et les artistes aussi ont envie de performer; c’est un beau projet rassembleur!» On continue ainsi à échanger sur les belles initiatives qui ont émergées durant la pandémie, sur ce que la musique représente pour nous, sur nos espoirs de retrouver le monde d’avant et sur cette conviction, que nous avons tous à présent, qu’il ne faut plus jamais rien tenir pour acquis!
Retrouver sa famille et ses origines… à Sherbrooke!
Avant de la quitter, impossible de ne pas aborder la période la plus famous de ses dernières années! L’histoire, qui lui a valu son passage à Tout le monde en parle il y a quatre ans, avait d’ailleurs fait l’objet d’une belle couverture médiatique ici. Je lui demande de me rappeler les débuts de cette aventure. «Un soir d’insomnie, j’ai écrit à 2e chance sur un coup de tête! Je me doutais bien qu’ils ne referaient pas un topo sur une enfant adoptée venant de Macao. Ils venaient d’en faire un sur un journaliste de Radio-Canada! Par contre, comme la recherchiste avait établi un bon réseau de contacts là-bas, elle a communiqué avec moi. C’est au fil de nos recherches que je me suis aperçue que Paul-André, un de mes amis, était en fait mon grand frère!»
Curieuse des répercussions de cette découverte sur le fil de sa vie, je la questionne un peu sur les fruits de sa recherche initiale et sur sa relation actuelle avec sa nouvelle famille. «Mes parents biologiques sont décédés, mais nous avons échangé avec la seule tante qu’il nous reste. C’est spécial… Nous avons aussi une sœur plus âgée et une plus jeune, mais elles refusent de croire à notre histoire!» Et Paul-André dans tout ça? Quand elle me parle de sa relation avec ce «nouveau» grand frère et sa grande famille, on sent bien que Jouhaïnna et ses enfants sont heureux des retombées de cette bouteille lancée à la mer en pleine nuit. «J’ai juste hâte qu’on puisse se rassembler de nouveau!», conclu-t-elle dans un soupir d’espoir.
Les spectacles reprennent tranquillement au Théâtre Granada, consultez la programmation pour plus de détails.