Visages du Centro

Karl et Amy-Lee, voir au-delà des visages tatoués…

Photo de Karl Roy et d'Amy-Lee Gosselin
PAR:
Marie-Cristine Pachès

Ils sont impliqués et ne cherchent pas à être le centre de l’attention. Ils souhaitent créer du beau et du bon pour que nous puissions profiter d’un milieu de vie dynamique et vivant. Ce sont ces visages que nous croisons tous les jours au cœur du centre-ville. Chaque mois, grâce à notre chroniqueuse, vous aurez la chance de découvrir les visages du Centro. Ces personnes qui croient au développement du centre-ville et qui y contribuent à grands coups de passion et d’amour!

Dès le début du projet des Visages du Centro, je me disais qu’il fallait ajouter une tatoueuse ou un tatoueur exerçant son art sur la Well et ses environs. En effet, la culture autrefois plus underground du tatouage et du perçage ont toujours fait partie de notre centre-ville. Malheureusement, je ne connaissais pas les artistes d’ici; mes propres tattoos remontant à l’époque de ma jeunesse à Montréal. Pourtant, au cours des derniers mois, l’envie de me faire à nouveau encrer la peau est revenue me tarauder. Je me suis donc mise à éplucher les portfolios des artistes de la région dans l’espoir d’en trouver un ou une dont le style m’inspirerait. Au cours de ces recherches, un nom revenait souvent, celui d’Amy-Lee Gosselin. Je suis donc allée zieuter son travail afin d’en apprendre davantage sur elle. 

En voyant sa photo et celle de son partenaire Karl, j’ai tout de suite reconnu le couple que j’avais si souvent vu se balader au Centro. Deux visages atypiques et bien encrés, certes, mais qui semblaient aussi empreints d’une grande bonté. En plus, leur studio se trouvait en plein cœur du centre-ville et j’étais curieuse de découvrir qui ils étaient! J’avais trouvé mes victimes, ne me restait plus qu’à les convaincre…

Ensemble partout, pour tout!

Au départ, je leur ai lancé une invitation ouverte. Est-ce que l’un d’entre eux accepterait de se prêter au jeu de l’entrevue avec moi? La réponse n’a pas tardé et m’a prise de court: «Ok, mais est-ce que ça peut être les deux?» Le projet des Visages vise à faire découvrir des gens que l’on croise sans vraiment les connaitre. Je voyais donc les entrevues comme quelque chose de très personnel… Mais le fait est que la vie de Karl et celle d’Amy-Lee sont intimement liées, et ce, depuis huit ans déjà. Comme ils sont partenaires dans la vie, partenaires en affaires, coparents, amoureux et complices, à la tête d’une famille «recousue, pas recomposée» de quatre enfants et ados, rencontrer le couple ensemble semblait donc aller de soi! C’est pourquoi j’ai dit oui à ce premier Visages en duo et nous nous sommes donné rendez-vous chez Génération d’Encre, leur repaire. 

Photo de Karl Roy et d'Amy-Lee Gosselin de Génération d'Encre

Photo : Frédéric Gosselin instagram.com/fuseau.solaire

Destination Centro

Je n’avais pas passé la porte du 121, rue Wellington Nord depuis que le couple a pris possession des lieux il y a cinq ans déjà. Aussi, j’ai été surprise de tous les changements qu’ils ont opéré au spacieux local du centre-ville. Un hall d’accueil zen et lumineux, trois stations de tatouage –les leur ainsi que celle de leur amie et partenaire d’affaires, Jasmine– ainsi que le labo de Karl; un espace spécialement destiné à la préparation des produits de leur ligne de soin pendant et après les tatouages: Atomik Wave. Après m’avoir accueillie avec un de ses pétillants «Namasté!», Amy-Lee me raconte comment ils ont atterri là: «On a toujours été des amoureux du Centro! On y habite, on s’y promenait le soir, parfois avec les enfants en pyjama, et on rêvait de s’y installer. On arrêtait tout le temps devant le local ici quand c’était un magasin de jouets. Les petits admiraient le gros bateau dans la vitrine, pendant que nous on examinait le local en nous disant à quel point il serait parfait!» 

Il faut croire que l’endroit leur était destiné puisque, quand ils ont été prêts à signer un bail, ils ont parcouru tout ce qui était disponible au Centro… Pour finalement aboutir là! «On s’était dit qu’on garderait l’esprit ouvert. Que peut-être ça ne marcherait pas… Mais on a été chanceux! Le proprio a cru en nous et nous a fait confiance», m’explique l’artiste. Aujourd’hui bien installés, ils caressent le rêve d’acquérir un jour la bâtisse afin d’en faire leur quartier général. Après tout, comme Amy-Lee me le dit si bien: «Pour nous, c’est déjà la maison!»

Photo d'Amy-Lee Gosselin de Génération d'Encre

Révolutionner le monde en le crémant différemment!

S’il y a une chose que j’ai rapidement constaté en rencontrant ce couple si attachant, c’est qu’il ne manque pas d’idées créatives! Karl me confie d’ailleurs: «À notre première date, on parlait déjà de créer une gamme de produits de soin différents. Tous les deux, on n’en revenait juste pas que les gens dépensent autant d’argent pour leurs tatouages, sans s’occuper de les soigner ensuite. La plupart des gens mettaient de la Vaseline dessus. Encore maintenant, plusieurs tatoueurs s’en servent. Mais, si tu lis sur le contenant, c’est écrit de ne pas en mettre sur une plaie. Normal, c’est de la gelée de pétrole, y’a rien de naturel là-dedans. Un tattoo, c’est justement ça: une grosse plaie!» 

C’est ainsi que Karl s’est plongé dans la recherche afin de trouver les meilleurs ingrédients possibles pour composer ses onguents. Il a développé une ligne de produits haut de gamme et naturelle et est passé à travers toutes les certifications nécessaires pour démarrer le projet. «On a aussi profité de la pandémie pour aller chercher de l’aide chez Pro-Gestion Estrie, maintenant intégré à Entreprendre Sherbrooke. On a appris à faire un beau site web, perfectionné des détails; on n’a pas chômé!», me raconte sa conjointe. 

Pas facile pour un tatoueur d’aller cogner aux portes de ses «compétiteurs» pour en faire des clients potentiels. Karl me confirme que, bien que le milieu en soit un solidaire où tout le monde se connait, il n’a pas eu l’accueil escompté au départ: «On revenait des fois après des mois et on se faisait dire « Ah oui! Je la connais ta crème, je l’ai encore ici! » …et le pot était à la même place, pas ouvert!» 

Photo d'Amy-Lee Gosselin et des produits Atomik Wave

Un artiste aux multiples talents

En l’écoutant me parler avec passion de ses produits, je découvre à quel point il a à cœur de développer ce bébé-là. Sa façon de redonner au milieu qui l’a en quelque sorte façonné, j’imagine. Mais aussi, un autre moyen d’utiliser ses nombreuses aptitudes. En creusant un peu, j’ai cru sentir qu’il avait peut-être un peu moins la flamme pour le tatouage, ou du moins le néotatouage. Alors que la technologie a envahi le domaine et changé résolument les façons de faire, lui est plutôt retourné vers les bases. Désormais, il pratique exclusivement le «stick and poke», une technique ancestrale qui s’exerce à l’aide d’une tige de bambou et d’une aiguille. Ses projets se font donc plus rares et uniquement avec une clientèle bien choisie. Toutefois, même si l’homme d’affaires a quelque peu délaissé l’art qu’il a perfectionné pendant plus de trente ans pour se concentrer davantage sur son entreprise-sœur, on sent qu’il n’a pas l’intention de quitter le domaine, bien au contraire! 

Y’a pas que les bums qui se font tatouer!

«Pour moi, l’appel du tattoo est arrivé vite… Je devais avoir 13 ou 14 ans et ça m’obsédait presque; j’en voulais un! Je viens d’une famille de policiers et j’ai 45 ans. Tu sais, dans le temps, c’était pas super bien vu…», m’explique-t-il et je comprends que, pour sa famille, tatouages devaient rimer avec criminalité. «Mais j’ai acheté des magazines de tatouage, j’ai commandé ma première machine à partir d’une publicité trouvée dedans et j’ai commencé à me faire des tattoos bin laids sur les jambes!», se remémore-t-il en riant. «On sous-estime souvent la puissance de cet art-là, mais c’est presque envahissant. Même quand j’étais jeune, je me dessinais la face aux Sharpie pour aller jouer dehors, j’avais ça en moi…» J’écoute Karl me raconter son parcours tout en étant presque hypnotisée par ses yeux noirs. On n’y échappe pas! Son corps et son visage sont recouverts de tatouages. Pourtant, ce sont ses yeux qui font beaucoup parler…

Photo de Karl Gosselin de Génération d'Encre

S’encrer les yeux et s’endurcir la carapace!

J’aborde donc le sujet avec eux et le couple me relate le battage médiatique survenu autour du moment où ils ont pris la décision de faire tatouer leurs yeux. En fait, cette opération de modification corporelle consiste à injecter quelques gouttes d’encre (entre 2 et 5) dans la sclérotique de l’œil (la partie blanche). Alors qu’Amy-Lee a des yeux roses que ma propre vision déficiente n’avait pas décelés, ceux de Karl sont noirs tout autour de ses iris bleus et l’effet est plutôt immanquable. Même si certaines personnes le complimentent sur son apparence, il a surtout dû faire face à des commentaires virulents. «On a été invités à l’émission de Denis Lévesque en 2017. On n’écoute pas la télé nous, alors on ne savait pas trop à quoi s’attendre… Mais le lendemain de l’émission, j’avais un paquet de messages du genre « Tu devrais avoir honte et aller te tuer! L’image que tu donnes à nos enfants est dégueulasse! »», se remémore-t-il. «Alors, aujourd’hui, quand quelqu’un me dit qu’il trouve ça hot, je lui dis merci pour les bons mots. Je les prends, je m’en nourris et ça contrebalance un peu tout ce que j’ai pu entendre…»

Faire tomber les préjugés, un sourire à la fois!

Je dois être naïve, mais la violence des propos qui lui sont adressés me saisit. Je discute depuis environ une heure avec ce couple sympathique, ouvert et allumé. Depuis mon arrivée, j’ai pu constater à quel point ils étaient accueillants et prévenants l’un envers l’autre; s’échangeant des regards complices, se souriant et se touchant régulièrement avec amour et bienveillance. Je les trouve beaux et inspirants, il ne me viendrait même pas à l’esprit de les juger, alors encore moins les insulter! «Tu sais, c’est pas toujours pour mal faire. Maintenant, quand on se fait dévisager au resto, on donne une carte d’affaires en disant « Nos tatouages ont l’air de vous fasciner, aller voir notre site et appelez-nous si vous en voulez! » C’est la meilleure façon qu’on a trouvée de répondre», me raconte Amy-Lee en souriant. 

Photo de Karl Roy et d'Amy0Lee Gosselin de Génération d'Encre

Karl renchérit: «Et je mets ma main sur mon café quand je m’assois dehors devant le studio… Sinon les gens vont mettre de l’argent dedans!» Sérieusement?!! Devant mon air estomaqué, il ajoute en riant: «Oh oui! Une chance, on a des bonnes voisines! Parfois, les serveuses du Méchant Steak ou de la Buvette viennent nous piquer une petite jase quand elles remarquent que les clients sont stressés par ma présence et ça les calme de nous entendre parler ensemble. Je redeviens une personne et non une menace… La différence fait peur et, même si ma face peut sembler cool, elle n’est pas toujours facile à porter.»

Dessiner sa propre voie

Amy-Lee quant à elle ne semble pas avoir vécu autant de violences verbales. Peut-être parce que c’est une fille. Peut-être parce qu’elle a attendu plus longtemps avant de couvrir son visage d’encre. Peut-être aussi parce qu’elle a un petit côté pétillant et coloré qui impressionne moins que la dominance noire et rouge qui recouvre son conjoint. Elle m’explique néanmoins: «Ça n’a pas été évident pour moi non plus au départ… Mes parents sont assez âgés; je suis presque un projet de retraite pour eux! Alors quand, à 16 ans, je leur ai annoncé que je voulais être tatoueuse, ils ne s’attendaient pas à ça; même si j’ai passé ma vie à dessiner tout le temps, partout! J’habitais Lac-Mégantic, je me suis trouvé un mentor à Matane et, malgré leur incompréhension, mes parents m’ont soutenue… et liftée!» 

Quatorze ans après ses débuts en tant qu’artiste tatoueuse, elle semble encore étonnée de son succès. «J’ai la chance d’avoir de bons clients fidèles dont beaucoup m’ont confié de grosses pièces. Mon book est plein presque un an d’avance. Quand je pense qu’au début, on ne savait jamais à l’avance si on aurait des clients dans la semaine qui vient, je dis merci la vie!», souffle-t-elle. 

Photo de Karl Roy et d'Amy-Lee Gosselin de Génération d'Encre

Des modèles inspirés et inspirants!

En dépit de leurs réalisations actuelles, les deux partenaires ont encore envie de réaliser des défis. «Il n’y a pas de vraie formation dans le monde du tatouage. Ça prend beaucoup de persévérance pour percer. Souvent je me dis que j’aimerais donner des conférences. Parler aux jeunes, propager ma passion, démystifier des affaires, faire de la prévention aussi et leur donner des modèles différents auxquels ils peuvent s’identifier. On a une allure qui frappe, mais qui nous ressemble et avec laquelle on est bien. C’est correct d’être différents!», me lance Amy dans un sourire. Karl hoche la tête en l’écoutant. «Là, les gens vont nous connaitre un peu mieux grâce à ton article, mais tu vas voir, on a de beaux projets à venir… Tu vas encore entendre parler de nous!», conclut-il avec un clin d’œil. 

Voilà qui a de quoi piquer ma curiosité! Une chose est sûre, c’est qu’à l’avenir, je n’hésiterai pas à saluer les tatoueurs quand je les croiserai au détour de notre Centro… et peut-être que j’en profiterai pour leur lancer un: «Eille! Vous êtes beaux!» bien senti! 

Génération d’Encre (sur rendez-vous seulement)
Atomik Wave
121, rue Wellington Nord