Divertissement

Il n’y a qu’au Centro que tu peux vivre ça!

PAR:
Philip Bastarache

Il est 18 h, on est vendredi soir, j’ai 29 ans. Le problème à cet âge-là – si tu n’as pas encore d’enfant – c’est que tu as perdu l’exaltation que te procurait d’aller te grouiller maladroitement les fesses sur un des dancefloor du centre-ville. Tu n’as pas toujours envie de finir la soirée dans une microbrasserie avec tes chums ou de te retrouver dans un énième 5 à 7 non plus. Je fais quoi alors? Je n’ai pas encore l’âge de finir la soirée dans le Lay-z-boy à écouter des shows de variétés.

Comme j’essaie de perdre ma prébedaine de futur trentenaire, une petite marche dans mon quartier – le Centro – est une idée intéressante. Sitôt arrivé sur la Well, un constat s’impose : « ben oui c’est vrai, c’est le Festival du Cinéma du Monde ce soir! ». Comme si mon subconscient me l’avait fait oublier par souci de m’épargner de penser au travail pendant une soirée de congé (je travaille à La Maison du cinéma). Une portion de la rue est piétonnière et une petite foule est attroupée devant l’écran ou sera projetée la séance de cinéma plein air vers 20h. Qu’est-ce qu’il y a de beau à voir d’ici là?

La pluie s’est calmée et des amuseurs publics nous font la démonstration de leur savoir-faire. La foule, composée de hippies, de hipsters, de familles joyeuses, de grands-parents et de simples prétrentenaires comme moi embarque volontiers. Après cinq minutes, je réalise que je suis hypnotisé par le spectacle et je ne fais plus qu’un avec l’asphalte sous mes pieds : impossible de partir et je le regarde jusqu’à la fin. J’aime bien quand ma Wellington me surprend avec de tels événements.

Une fois libéré de ma transe, un petit creux me donne envie d’aller au Chanchai… qui est plein à craquer. Plan B : ne suis-je pas là pour perdre ma prébedaine? Ça pourrait être intéressant de gravir la côte King et d’aller chez Louis (n’y voyez pas une contradiction; il n’y a aucune raison assez bonne pour se passer d’une poutine du Louis).

Une fois rassasié, il me prend l’envie d’aller regarder les homards en captivité de l’aquarium du marché de poisson de la rue Marquette (ça, c’est mon côté enfant). Encore là par contre, je réalise ce n’est plus aussi exhalant que lorsque j’avais 8 ans. Pourquoi ne pas assister à la séance cinématographique en plein air alors? Je ne suis pas trop « films français des années 40 » – à vrai dire, je suis rempli de préjugés –, mais pourquoi ne pas donner la chance au coureur?

Je m’invite au travers des spectateurs amassés près de l’écran et prends place sur une chaise. L’œuvre, s’intitulant « Jour de fête », de Jacques Tati, est à peine débutée. Le film, dont la bande sonore a été réenregistrée sur bande magnétique en 1964 donne l’impression qu’on regarde un film doublé. Ça fait un peu folklorique. Les acteurs utilisent une sorte de vieux français et roulent leur « r » comme une matante un peu bourgeoise. À vrai dire, l’accent ressemble pas mal plus à l’accent québécois des années 50 que du français à la parisienne actuel. Ainsi, « Frrrancois, enfourrche sa bécane pour livrer son courrier à l’américaine » et je me surprends à rire de bon cœur devant ce slapstick à la Bustur Keaton, mais totalement français.

Une douce odeur de tisane provenant de la tasse que vient de rapporter ma voisine de chaise envahit l’atmosphère. Tiens, ce n’est pas une mauvaise idée! Il s’agit là d’un avantage indéniable du Centro : regarder un film en plein air et aller se chercher quelque chose à boire dix pas plus loin à la Brûlerie de café. J’y pense deux secondes : on est chanceux de pouvoir vivre ça à Sherbrooke.

Pressé de ne pas manquer trop mon film, je reviens aussitôt, tisane à la main. L’air n’est pas si frais, mais on dirait que le fait d’être dehors donne une excuse de plus aux couples de se coller un peu. Certaines personnes se sont aussi attroupées près des foyers mis en place pour réchauffer l’atmosphère. Une brise tiède souffle sur la foule. La Well est calme; il n’y a pas de voiture, mais seulement le film et nous. Encore une fois, je ne fais qu’un avec l’asphalte sous mes pieds. Je ne peux m’empêcher de contempler l’architecture des alentours, qui rehausse foncièrement le caractère de mon centre-ville.

Ce soir-là, l’ambiance était tout simplement mémorable. Elle était différente de celle des salles obscures où je travaille. En fait, elle était communautaire. J’ai adoré. Et vraiment, s’il y a une chose que je retiens de cette soirée peu commune organisée dans le cadre du Festival du Cinéma du Monde, c’est qu’il n’y a qu’au Centro que tu peux vivre ça à Sherbrooke!

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