Art Et Culture

Ma p’tite histoire avec le Centro

PAR:
Jean-François Vachon

L’année dernière, le réalisateur Jean-Sébastien Dutil et moi avons travaillé ensemble à la création d’une série documentaire de six épisodes sur le centre-ville de Sherbrooke : Mon Centro. Celle-ci est composée de six épisodes de 20 minutes qui abordent en détail plusieurs aspects du centre-ville comme sa population, ses lieux de socialisation, ses restaurants, ses organismes communautaires, ses lieux de diffusion culturelle et son histoire.

Depuis que celle-ci a été filmée en 2019, le centre-ville a bien changé. L’Hôtel Wellington n’est plus qu’un souvenir et de nombreux immeubles de la rue Galt Ouest laissent maintenant place aux fondations d’un nouveau projet de logement social. Quelques commerces ont ouvert et d’autres ont fermé ou se sont déplacés. La pandémie a bien sûr apporté ses difficultés.

L’esprit qui caractérise le centre-ville de Sherbrooke et ses forces demeure cependant toujours. Puisque notre série est encore d’actualité, nous nous sommes associés au Tremplin 16-30 pour la diffuser plus largement. En achetant celle-ci, vous pourrez non seulement la visionner, mais aussi contribuer à une campagne de financement qui a pour but d’impliquer davantage les jeunes au centre-ville.

Ce projet, tout comme la série, me touche personnellement, car même si je ne suis plus officiellement jeune (dû moins selon le Secrétariat de la jeunesse), le centre-ville est un lieu important pour moi depuis ma vingtaine. Voici donc ma p’tite histoire face au centre-ville. Au cours des prochaines semaines, vous aurez aussi la chance de lire les témoignages de Charles Fournier, Alain de Lafontaine et Sonia Bolduc.

Le centre-ville de Sherbrooke, 2018. Photo : Jean-Sébastien Dutil.

Ma p’tite histoire

J’ai commencé à fréquenter le Centro par mon engagement dans le milieu culturel. Au début des années 2000, j’ai participé à la publication et au lancement de plusieurs recueils littéraires qui permettaient à des auteurs de la relève de se faire connaître. Je me souviens que nous avions lancé notre cinquième recueil au Tremplin 16-30, un an après son ouverture.

Après cela, vers 2006, il a eu le Festival du texte court de Sherbrooke, un événement mettant la littérature de l’avant et qui se déroulait dans plusieurs lieux du centre-ville. Pendant plusieurs années, nous avions même eu l’audace de fermer la rue Wellington Sud pour y tenir des performances artistiques, inviter des artistes de cirques et y déposer quelques plantes et des divans. Quoi de mieux pour redorer le secteur!

Le Festival du texte court de Sherbrooke sur la rue Wellington sud, en 2012.

Vers le début des années 2010, j’ai aussi connu le « feu » Artfocus, avec ses soirées micro-ouvert et ses nombreux événements pour regrouper et soutenir les créateurs. J’ai découvert plusieurs lieux du centre-ville par la Cuvée artistique de l’Estrie, une initiative du Conseil de la culture de l’Estrie pour mettre de l’avant les artistes de la relève.

Le ArtFocus lors d’une soirée des Cabarets Well-King, des soirées micro-ouvert qui existent depuis 2013.

Depuis 2007, le centre-ville est également pour moi un lieu d’expression, par les nombreuses fois que je suis monté sur la scène du Tremplin pour crier ce que j’avais dans le ventre sous la forme de slam ou de monologues. Mes plus beaux souvenirs sherbrookois sont au centre-ville.

Je me suis aussi attaché au Centro en flânant dans ses cafés. La Brûlerie de Café de Sherbrooke (aujourd’hui le Faro) m’a accueilli dans de nombreux rushs de fin de session ou de fin de contrats. C’était presque un deuxième salon : un lieu où me recueillir, un endroit où travailler et un refuge où je pouvais croiser régulièrement plusieurs visages connus. Il y a aussi le Kàapeh, sans oublier l’Arbre à Palabres (qui n’existe plus, sauf dans notre mémoire) et bien d’autres. Je ne compterais pas non plus les rencontres que j’ai organisées dans des cafés au centre-ville. Plusieurs projets ont vu le jour dans ces lieux : Mon Centro est un de ceux-là.

Le Salon de Thé l’Arbre à Palabres. Photo : Christine Gascon

Le Café Singing Goat

Après avoir bu bien des cafés et flâné dans plusieurs d’entre eux, je suis devenu moi-même copropriétaire d’un café, le Café Singing Goat, situé aux limites du centre-ville. Avec ma conjointe Catherine, on a organisé des spectacles, des ateliers, des conférences, bref, on a voulu en faire un lieu de rassemblement à l’image des meilleures expériences que nous avions vécues. Cette étape de ma vie a été non seulement enrichissante, mais elle m’a aussi permis de comprendre le quotidien d’un commerçant au centre-ville. C’est une vocation qui demande beaucoup d’efforts, de créativité et de longues heures. La plus belle paye que j’ai eue pendant cette période, c’est de rencontrer plusieurs personnes et d’être témoin d’une centaine de beaux moments.

Catherine Migneault et moi au Café Singing Goat. Photo : Marianne Deschênes.

Mon expérience au Café Singing Goat, m’a aussi permis de m’impliquer dans un comité qui avait pour but de valoriser et de faire connaître le quartier Alexandre, une portion du centre-ville un peu moins connue que les rues Wellington et King, mais qui accueille de nombreux commerces innovants comme À Fleur de Vie, le Café Soko, El Tabernaco, le P’tit Local et la Mie de la Couronne, notamment.

En faisant partie du comité, j’ai d’ailleurs eu la chance de réaliser des entrevues avec plus de dix commerçants du quartier qui m’ont décrit la vocation de leur commerce, m’ont conté leur histoire personnelle, m’ont expliqué ce qui les a incités à se lancer en affaires au centre-ville et ce qui les motive à continuer. J’en ai même appris sur l’histoire du quartier. Avec ces riches témoignages, comme bien d’autres collaborateurs, j’ai pu écrire quelques articles sur la page lecentro.co.

La série

Ce sont toutes ces expériences et bien d’autres qui, petit à petit, m’ont fourni l’inspiration nécessaire pour la création de la série. Ma rencontre avec Jean-Sébastien Dutil, avec qui j’ai cocréé le projet a également été un événement marquant. Comme moi, il avait un vécu particulier face au centre-ville (il y a habité depuis plusieurs années) et il avait déjà songé à réaliser des portraits d’entrepreneurs sous la forme de capsules vidéo. Il avait aussi réalisé une série sur les restaurants végétaliens à Sherbrooke dont trois étaient situés au centre-ville.

Entre deux projets, nous avons commencé à parler de l’idée de réaliser une série sur le centre-ville. Au début, notre but était plutôt de faire des capsules vidéos sur le quartier Alexandre. L’idée est restée sur la glace jusqu’à ce que Jean-Sébastien Dutil m’annonce qu’il avait accès à du financement pour la réalisation d’un projet documentaire. C’était un bel adon, parce que nous avions une idée qui mûrissait depuis plusieurs mois. Après quelques cafés au Kaapeh, on a monté un plan et on a décidé de faire une série qui traiterait du centre-ville en entier.

Notre objectif était à la fois d’informer les gens sur diverses thématiques associées centre-ville, mais également de les toucher, c’est-à-dire communiquer le vécu et les sentiments qui poussent plusieurs individus à le fréquenter et s’y investir. On décida d’ajouter une dimension historique au projet enfin que le public puisse bien saisir l’évolution du Centro et, dans certains cas, revivre certains souvenirs. Pour nous, la conception de la série était aussi une occasion de regrouper les acteurs du centre-ville et de les mobiliser. La soirée de projection que nous avons organisée le 21 novembre dernier à la Maison du Cinéma a d’ailleurs été un beau rendez-vous à cet égard.

Jean-Sébastien Dutil et moi lors de la projection de la série en novembre 2019.

Ce dont nous avons été témoins…

La réalisation du projet a été du travail, même un marathon à la fin. L’expérience fut néanmoins très enrichissante. Près d’une trentaine de personnes ont partagé leur vécu et leurs connaissances par rapport au centre-ville. Nous avons beaucoup appris, mais nous avons surtout été touchés. Plus on avançait dans le processus, plus sentait que l’intérêt était présent. Tout le monde voulait témoigner et personne ne nous a refusé une entrevue. Faire la série nous a également confirmé plusieurs caractéristiques qui sont propres au Centro notamment :

  • Que plusieurs personnes qui côtoient le centre-ville, le considèrent comme un « petit village ». C’est très facile d’y croiser les gens qu’on connaît. C’est facile de s’y attacher.
  • Que le centre-ville de Sherbrooke se distingue au niveau culturel. Il est autant possible d’assister à des spectacles d’artistes reconnus que de découvrir des artistes émergents. Le Centro héberge également plusieurs d’entre eux, des écrivains, des conteurs, des musiciens, des vidéastes. De « l’ébullition créative », il y en a!
  • Que le Centro est un lieu riche en histoire. Plusieurs aînés que nous avons rencontrés nous ont parlé de certains lieux cultes comme le Flamingo, le Café Virgule et des anciens hôtels comme l’Hotel Union et le Moulin Rouge. Ces lieux organisaient des spectacles, mais aussi des concours d’amateurs où les artistes pouvaient « se lancer » pour une première fois. Aujourd’hui, le Centro offre encore plusieurs espaces d’expression similaires.
  • Que de nombreux organismes communautaires ont pignon sur rue au centre-ville et contribuent à venir en aide à plusieurs personnes en difficulté. Les histoires de vie de ces individus, qui ont dû faire face à des épreuves et à des échecs importants, méritent d’être racontées.
  • Que le centre-ville a une offre très diversifiée. Sur un petit territoire de moins d’un kilomètre carré, on peut manger à une table gastronomique, goûter à plusieurs cuisines du monde ou encore simplement déguster un bon burger ou une poutine. Les restaurants du centre-ville ont également la particularité d’être des commerces indépendants où il est parfois possible de rencontrer directement le propriétaire.

Ces observations ne sont que quelques-uns des aspects qu’on découvre dans la série.

De votre côté, quelle a été la place du Centro dans votre vie?

Le propriétaire d’Au Tourne-Livre, Pierre Lagueux. Photo : Jean-Sébastien Dutil