Visages du Centro

Gigi… La reine de la côte King

PAR:
Marie-Cristine Pachès

Ils sont impliqués et ne cherchent pas à être le centre de l’attention. Ils souhaitent créer du beau et du bon pour que nous puissions profiter d’un milieu de vie dynamique et vivant. Ce sont ces visages que nous croisons tous les jours au cœur du centre-ville. Chaque mois, grâce à notre chroniqueuse, vous aurez la chance de découvrir les visages du Centro. Ces personnes qui croient au développement du centre-ville et qui y contribuent à grands coups de passion et d’amour!

S’il est un visage qui est associé au nightlife de Sherbrooke depuis plus de 30 ans déjà, c’est bien celui de Ginette! Tout en haut de la côte King, dans le plus vieux bar de la ville, le King Hall, on croise régulièrement celle que tous appellent Gigi. Des générations d’étudiants se sont accoudés au mythique bar pour obtenir ses conseils d’experte sur l’imposante collection d’alcools, mais aussi pour jaser, se confier ou épancher leur petit cœur meurtri.

J’avais déjà entendu dire qu’elle était au King Hall «depuis toujours», mais je croyais naïvement à une figure de style! «J’ai été engagée avant même le jour 1! J’ai déballé les chaises et le bar et j’ai nettoyé la poussière de bois… C’était en 1988!» me corrige-t-elle en riant. Qui de mieux qu’elle pour ce portrait spécial que j’avais envie de faire sur notre centre-ville de Sherbrooke la nuit? 

Photo : Frédéric Gosselin instagram.com/fuseau.solaire

Entre le plus vieux bar et le plus vieux resto de la ville…

Comme j’avais déjà fait l’un des visages du Centro au King Hall, je souhaitais trouver un endroit différent pour rencontrer Ginette. Le fait est aussi que, même si nous nous étions croisées des dizaines et des dizaines de fois au cours des dernières années, je n’avais jamais vraiment eu de conversation avec elle. Je ne l’ai pas non plus connue en tant que barmaid. Pour moi, Gigi c’était celle qui faisait les commandes, la comptabilité, celle qui supervisait tout et celle auprès de qui les nouveaux employés se tiennent les fesses serrées! Au début, je croyais qu’elle était toujours sérieuse et je pense bien qu’elle m’intimidait un peu…

C’est Maxime Pothier, l’actuel proprio du King Hall et du King Alexandre qui m’a rassurée: «Va prendre un verre avec elle, je te garantis que tu ne t’ennuieras pas! Il n’y a pas de meilleure personne pour te parler du King Hall, c’est elle qui m’a tout montré quand j’ai commencé à travailler ici.» Puisque Maxime vient tout juste de racheter le Café Bla-Bla avec deux de ses amis, j’ai pensé que le plus vieux resto de Sherbrooke, judicieusement situé à l’intersection de King et Wellington, serait l’endroit parfait pour la rencontrer.

À la redécouverte du Bla-Bla

En attendant notre rendez-vous, je teste le menu remanié et la carte des cocktails. On m’avait chuchoté à l’oreille que le «Bla-Bla 2.0» avait tiré profit de l’expertise de ses nouveaux gestionnaires. On peut en effet se douter qu’entre Maxime qui a su revamper son pub et lui donner une belle notoriété sans le dénaturer, Julien Bousquet qui est un hôte hors pairs sachant marier les arômes autant que les alcools et Hugo Lapalme qui a un don inné pour mettre de l’ambiance et rallier les gens; le célèbre bistro est désormais entre de bien bonnes mains! Service courtois et attentionné, nourriture délicieuse, cocktail corsé et bien dosé… Je confirme: le Bla-Bla et sa belle terrasse méritent une visite!

Justement, je vois mon invitée tourner le coin de la rue dans sa belle robe noire. À l’aise partout et connaissant tout le monde, Gigi salue tant les convives que les employés à son arrivée avant de venir me rejoindre. Je me sens étrangement nerveuse… Heureusement, tout prévenant et gentleman qu’il est, Maxime avait demandé à son staff de nous apporter des flutes de cidre. Voilà qui devrait me détendre et me permettre de briser la glace! 

Photo : Frédéric Gosselin instagram.com/fuseau.solaire

Les débuts du King Hall…

Par où commencer!?! Il y a tant à dire avec trente ans de vie de bar, de visages et d’histoires; à voir évoluer Sherbrooke au rythme des tendances… Moi qui ne connais que le Centro actuel, je lui demande donc de me parler des tout débuts. «À l’époque, c’était déjà quelque chose le King Hall! C’est Pierre Parizeau qui l’avait imaginé, il avait fait construire le bar en un morceau avec des colonnes en acajou, il y avait de beaux divans en cuir au 2e étage, des fauteuils larges en bois. Il y a eu beaucoup d’investissements dans ce bar!

Au départ, on tenait 178 bières en bouteille et on avait 9 lignes de fût; dont de la Blanche de Bruges» se souvient-elle. Je grimace un peu à l’évocation de cette Belge! Quelques années après l’ouverture du pub, Mario Lauzon a fait son entrée derrière le bar. Pendant 11 ans, Ginette et lui ont formé ce qui a dû être l’équipe la plus efficace de toute l’histoire du King Hall! Lui derrière le bar, elle «qui court partout», à distribuer les breuvages et les chips aux habitués situés d’un bout à l’autre des deux étages. 

Parce qu’amour, bar et famille peuvent se concilier

Pas de doute que Gigi a une mémoire de feu… et qu’elle sait compter! Elle me décrit comment elle commandait toujours ses bières selon l’ordre dans lequel elles étaient placées dans les frigos ou sur les lignes, comment tout se faisait de mémoire, à l’ancienne! En fait, c’est Maxime qui a fait rentrer le premier ordinateur au King Hall lorsqu’il a pris possession des lieux en 2014. Jusqu’alors, une ancienne caisse du Café du Palais avec ses reçus succincts y trônait encore! «Quand je voyais les clients arriver, je savais déjà ce qu’ils allaient commander! Encore aujourd’hui, je croise des visages et je les associe à leur boisson préférée!»

Autre signe qu’elle a été formée à la bonne vieille école: lorsque je tente de la sonder sur les drôles de moineaux qu’elle a dû voir passer en 30 ans, Ginette se referme aussitôt. «Ça, je ne sais pas trop comment en parler… C’est sûr qu’il y en a eu de tous les genres! Tu le sais, toi aussi tu as fait ce métier, mais c’est la vie privée des gens…» Je souris à cette sage réponse et je commence à saisir pourquoi, pour tant de gens, Gigi a été une deuxième maman!

Photo : Frédéric Gosselin instagram.com/fuseau.solaire

Je comprends également rapidement qu’elle a toujours été une travailleuse infatigable! En plus du King Hall, elle a travaillé durant quelques années au Café du Palais. «Je travaillais tout le temps! À un moment, j’avais travaillé un mois et une semaine en ligne! J’avais 30 ans, j’étais tombée en amour et j’avais envie de fonder une famille. Je suis revenue au King Hall pour retrouver un endroit que je connaissais bien, où j’étais confortable et où je pourrais avoir une plus belle qualité de vie», me confie-t-elle.

Son amoureux de l’époque, c’est Jean Ellyson, l’un des trois frères à la tête de nos restaurants Louis et de la non moins mythique Taverne Alexandre! À l’époque pilote d’hélicoptère de brousse, Jean avait décidé de se poser à Sherbrooke auprès de sa belle… Les années ont passé et ils ont eu deux fils, Julien et Hermann. La vie leur a réussi, puisqu’ils forment encore un couple heureux aujourd’hui. On sent que ses trois hommes occupent une place spéciale dans le cœur de Ginette parce que son regard s’attendrit lorsqu’elle en parle. On est bien loin des stéréotypes de la barmaid volage qui sort tous les soirs!

Sortir à Montréal ou sortir à Sherbrooke? 

«Ah! Mais je l’ai fait!», s’exclame-t-elle en riant! «Je suis née en banlieue de Montréal et je suis arrivée ici pendant mon secondaire. Quand j’ai eu l’âge de sortir, je trouvais ça plate à Sherbrooke! Avec mes amies, on descendait sur le pouce à Montréal pour aller veiller et on squattait chez un de mes frères. Après, ils ont ouvert un Rosie Prock à Sherbrooke. Enfin on avait un bar alternatif, alors on a commencé à sortir ici. On allait aussi voir les spectacles de drag queen au Studio 13 et, évidemment, on était Chez Ronny quand il faisait ses beach party annuels, ça c’était quelque chose!» 

Photo : Frédéric Gosselin instagram.com/fuseau.solaire

Tout en l’écoutant, fascinée de découvrir des pans de l’histoire de Sherbrooke que je ne connaissais pas, je ne peux m’empêcher de la questionner sur sa «spécialité»! «Et l’alcool? Comment as-tu développé ton intérêt et ton expertise pour le whisky, le gin et les alcools forts? Aujourd’hui, c’est plus commun, mais il y a quelques années, les femmes buvaient davantage du vin ou des cocktails, non?» Elle me parle alors de son amour de la cuisine, des saveurs et des découvertes: «Ce n’était pas fréquent à l’époque, mais mes deux parents travaillaient. Ma mère était secrétaire de direction et mon père gestionnaire d’usine en textile. Alors, même si nous étions sept enfants, on sortait régulièrement en famille, on allait manger dans de bons restaurants et j’ai toujours eu la curiosité de goûter à tout.»

Un dernier verre en haut de la côte King

Auprès de Gigi, je n’ai pas vu le temps passer! Je regrette de ne pas l’avoir connue plus tôt pour avoir pu moi aussi m’asseoir au bar et échanger avec elle durant des heures. Ensemble, on remonte tranquillement la côte King pour aller prendre un dernier verre à «son» bar. Ce soir, c’est la fête de Julien, son aîné, qui a commencé à célébrer plus tôt à la taverne de son père. Tout en s’assurant que je reçoive ma pinte, Ginette garde un œil sur son grand, échange des salutations avec les habitués, taquine son serveur et regarde si tout le monde a l’air bien. Et voilà! En quelques secondes, elle est redevenue Gigi, la maman du King Hall et la reine de la côte King! 

Pour plus d’infos sur le King Hall et le King Alexandre: lekinghall.com

…et sur le Bla-Bla: cafeblabla.ca

Photo : Frédéric Gosselin instagram.com/fuseau.solaire