Yves Charpentier, celui qui a fait briller l’Otre Centro!
Ils sont impliqués et ne cherchent pas à être le centre de l’attention. Ils souhaitent créer du beau et du bon pour que nous puissions profiter d’un milieu de vie dynamique et vivant. Ce sont ces visages que nous croisons tous les jours au cœur du centre-ville. Grâce à notre chroniqueuse, vous aurez la chance de découvrir les visages du Centro. Ces personnes qui croient au développement du centre-ville et qui y contribuent à grands coups de passion et d’amour!
L’Otre Zone et son proprio… ou Comment tomber en amour en 30 secondes!
Depuis le 31 décembre dernier, notre Centro a perdu un endroit bien spécial. Cette place unique où, depuis les vingt dernières années, des générations d’humains se sont succédé pour partager des moments festifs, dans un cadre convivial et accueillant, c’était l’Otre Zone; l’OZ pour les intimes. En 2007, Yves Charpentier a décidé d’acheter le bar où son copain de l’époque travaillait. À ce moment, celui qui a attendu d’avoir 25 ans pour boire sa première bière et qui travaillait déjà à la ferme familiale de Sawyerville n’avait pourtant rien de l’homme-party qu’on connait aujourd’hui.
«Je suis encore un timide tu sais… C’est un peu pour ça les shooters!», me confiera-t-il avec un clin d’œil. Ahhh! Les fameux clins d’œil d’Yves! Son grand sourire qui monte jusque dans ses yeux, ses éclats de rire et ses incessantes tournées de shooters! Comme plusieurs avant moi, dès que j’ai passé les portes de l’Otre Zone, j’ai été conquise par l’ambiance des lieux et, bien sûr, par son charismatique propriétaire.
Un gars attachant… mais pas facile à convaincre!
Il aura tout de même fallu que je le harcèle pendant six mois pour qu’il accepte enfin de m’accorder cette entrevue! «Mon aventure avec l’Otre Zone se termine ici et je pars serein. Pourquoi tu veux parler de moi? Je préfère laisser la place à l’avenir et aux nouvelles générations!», m’expliquera-t-il avec son humilité habituelle. Malgré tout, j’avais envie de vous parler de cet homme si généreux et si lumineux qu’on voudrait tous l’avoir comme meilleur ami. Et puis, en tant qu’amoureuse du Centro, j’étais trop attristée d’assister à la fermeture du premier et du seul bar LGBTQ+ de Sherbrooke. J’avais donc envie de vous raconter un peu l’histoire de ce lieu… Puisqu’il a été bien plus qu’un endroit où boire, mais une véritable famille et un lieu d’accueil sans jugement pour beaucoup au fil des années.
Un lieu rassembleur, unique… et nécessaire pour tant de gens!
Bar mythique s’il en est un, l’Otre Zone a, au départ, ouvert ses portes aux débuts des années 2000 dans l’édifice de la rue Dufferin qui accueillait également le bar Le Magog. Yves y a découvert un endroit accueillant où, sans doute, lui aussi pouvait se permettre de laisser libre cours à un côté plus festif de sa personnalité, qui était jusque-là plutôt enfoui. Il a d’abord officié en tant que DJ pendant quelques années. Puis, il a offert au propriétaire initial de lui acheter l’endroit; c’était en 2007.
Bien consciente que les mentalités ont changé depuis quelques années, je le questionne sur le climat de l’époque. «Bien sûr, c’est un bar! Alors, oui, il y a eu de la drogue et quelques bagarres. Mais sincèrement, pas tant que ça… Peut-être que les premiers fumeurs qui ont eu à sortir et à côtoyer les clients des bars voisins ont eu droit à quelques commentaires, mais ça…», laisse-t-il planer. Oui, évidemment, «ça», on n’y échappe pas tout à fait quand on suit le slogan de l’endroit, soit OZez la différence!
Combler le vide avec une équipe de feu
Néanmoins, pour les visiteurs du bar, l’OZ a toujours été un havre inclusif. «Je n’aurais pas pu prévoir ce qui a suivi, mais j’ai revendu mes parts quelque temps avant les incendies de 2017 qui ont tout ravagé du premier bar. Je croyais être passé à autre chose, je me trouvais déjà trop vieux pour me coucher aux petites heures du matin toutes les fins de semaine! Puis, j’ai essayé de recréer l’ambiance qui me manquait dans d’autres endroits… sans succès!», me raconte-t-il. Alors, quand il a su que l’Otre Zone ne rouvrirait pas ses portes, il a décidé de reprendre à nouveau le flambeau. À voir l’esprit de fraternité omniprésente, je présume que ses partenaires n’ont pas été difficiles à convaincre! C’est donc entouré de son chum, Dany Gagnon, de son «épouse» et complice de longue date, Marie-Ève Lévesque (ou juste Marie), et de son amie Catherine Dearden-Roy qu’Yves a remis la main au shaker en ouvrant son bistro-pub revampé au sous-sol de la rue Meadow en 2019.
Savoir déléguer pour mieux concilier
Celui qui se décrit comme un perfectionniste exigeant avait toutefois tiré des leçons du passé. «Marie et moi, c’est une histoire d’amour, d’amitié et de pure folie qui dure depuis quinze ans. C’est à elle que j’ai confié la gestion de l’endroit. Moi, je n’y étais que les samedis soirs… C’est bin en masse à mon âge!», me dit-il en riant. Depuis que je le connais, Yves fait sans cesse des blagues sur le fait qu’il est vieux et qu’il veut se coucher tôt! Par contre, en l’écoutant parler, on comprend que le gestionnaire a tout simplement fait un choix logique dans sa carrière; crève-cœur certes, mais logique!
«Durant des années, j’ai été un fermier à distance, me raconte-t-il. Mes oncles et tantes habitaient la maison située sur la ferme familiale. Pendant des années, je voyageais chaque jour pour faire le train. Maintenant, je partage l’entreprise avec ma mère et je me fais enfin bâtir à la ferme. Les cheptels grossissent: nous avons 700 bovins et 3000 porcs, c’est d’la job!» On comprend… Ça ne nous empêche pas d’être nostalgiques, mais on comprend.
S’en mettre plein la vue et plein le cœur, jusqu’à la toute fin…
D’ailleurs, comme beaucoup de gens, j’avais décidé de «faire le plein» de l’OZ pendant qu’on le pouvait encore. J’ai donc multiplié mes visites! J’ai ainsi pu constater, plus le mois de décembre avançait, que cette nostalgie en gagnait plus d’un. Si tous les employés alternaient entre leur bonne humeur habituelle et de petites pointes de tristesse, c’est en regardant Marie qu’on ressentait le plus cette émotion. «Yves et moi, on a été comme des rock star pendant quinze ans et notre stage, c’était le bar!», me confiera-t-elle. L’analogie, trouvée par celle qui a littéralement l’OZ encré dans la peau, convient parfaitement!
Oui, l’accueil était chaleureux, mais l’endroit était également caractérisé par la franche camaraderie qui y régnait… et le nombre incalculable de shooters qui y ont été bus les fins de semaine! Plusieurs estomacs ne sont sûrement pas sortis indemnes de ces généreuses tournées de Chartreuse, Stinger et cie! Au cours de ces derniers samedis de shows, il fallait voir toute l’équipe multiplier les accolades et les fous rires, les niaiseries de fin de soirée et les jokes un peu grivoises; tout en prenant un dernier verre et une dernière photo avec les artistes qui ont défilé sur la scène.
L’OZ et les drags: un mariage d’amour!
Car, en plus de tout le reste, l’Otre Zone a aussi été ça: un tremplin pour les drag queens des Cantons de l’Est et d’ailleurs. Si le phénomène a largement gagné en popularité chez nous, grâce entre autres aux émissions de télévision telles que Canada’s Drag Race, au départ, peu d’endroits en région permettaient aux artistes d’exercer leur art de façon régulière. «Au début, on a un peu surfé sur la popularité de Rita Baga, qui était notre directrice artistique. Puis, elle est devenue connue, le bar aussi, alors j’ai repris la gestion des artistes en représentation. On est chanceux, parce qu’iels nous aiment. Des drags qui font de gros shows en ville sont venues chez nous parce qu’elles aiment notre crowd, notre staff et qu’elles sentent qu’elles font partie de la famille», m’explique Yves.
Encore une fois, pas une once de fierté ici pour tout ce qu’il a accompli; pour avoir été cet ami, ce patron, ce mentor et cet homme formidable qui a travaillé sans compter ses heures pour offrir un safe space à ceux qui se sentaient différents. Ceux qui n’étaient pas nécessairement à l’aise dans les endroits traditionnels, et ce, peu importe leur différence… Pourtant, à lire les commentaires sous chacune des publications du bar et à écouter ceux qui l’ont fréquenté au fil des années, on comprend vite que l’Otre Zone, et Yves Charpentier (même s’il n’aime pas qu’on le mette ainsi de l’avant), ont joué un rôle important dans plus d’une vie.
On aimerait tant que ce ne soit qu’un au revoir…
«Tu sais, on m’a offert souvent des emplois dans de gros bars à Montréal, mais c’était ici mon chez-moi… Aucun autre endroit n’est aussi inclusif qu’ici. Tu peux te présenter habillé n’importe comment, en t’identifiant à n’importe quel genre ou en ayant n’importe quelle orientation et on va t’accueillir avec le sourire… et on va devenir tes amis!» Je repense à ces paroles prononcées par Marie, peu avant la fermeture, et je ne peux qu’espérer qu’un nouveau projet germera à Sherbrooke.
Même si Yves semble en paix avec sa décision, j’ai du mal à croire que l’effervescence de ces folles nuits à l’OZ ne lui manquera pas au bout de quelque temps… Mes yeux le supplient de me donner un peu d’espoir! «Peut-être que j’organiserai des shows de façon ponctuelle, peut-être qu’un jour il y aura autre chose… J’aurais vraiment aimé que quelqu’un prenne le relais. J’aurais été prêt à soutenir de nouveaux propriétaires. Ça ne s’est pas fait, mais ça ne veut pas dire qu’il n’y aura plus rien… Gina Gates est déjà lancée sur un projet! Et puis, on va se revoir ma chum!», me dit-il, confiant, avec son si beau sourire.
Oh oui! J’espère vraiment un jour retrouver cette vibe à Sherbrooke, car Yves, Marie, Dany, les employés, les spectacles, l’ambiance (et même les shooters!) me manquent déjà!
Adieu l’OZ! Tu as fait du bien à mon Sherbrooke et je sais qu’on se souviendra longtemps de toi…
Pour tout connaitre sur le nouveau projet en développement de Gina Gates: https://www.facebook.com/lezebrequeer